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MALNUIT
22 janvier 2008

Caracoler

J‘ai toujours connu Malnuit, tout petit, je rencontrais ces trois enfants blonds clairs dans les escaliers, quand on allait chez nos cousins Rodet au-dessus le la quincaillerie dans la Grande-Rue de Saint-Marcellin.

… Je suis devenu son copain en classe de sixième, on était au coude à coude, au milieu de quarante élèves, face à la pédagogie loufoque de Monsieur Bourdeix, le légendaire prof d’anglais du Collège de Saint-Marcellin (Isère).
On était deux au collège de Saint-Marcellin à dessiner tout le temps.
Quatre anecdotes…

Pommes de terre
   … Le Cinéma Éducateur, on y passe des films de ciné-club avec débats, précédés d’interminables documentaires. Un soir, j’entreprends d’immiscer dans chaque pause du speaker “pomme de terre” et ça marche. 
“ - Le Château de Chenonceau, dans son écrin de … pomme de terre… verdure se mire dans le… pomme de terre … Cher, fleuron de notre … pomme de terre… Patrimoine, il toise les… pommes de terre… siècles.” Ça fout tout en l’air, ça prend du sens et la salle hurle de rire.
Malnuit me retrouve à la sortie :
-  Ton truc de pommes de terre, là, c’est quoi ? C’est fou.
- Euh ! Ben non, c’est le hasard, c’est la déconne…

Beaux-Arts
   … Le Gouillat me prend à part et me postillonne à la figure : - Tu sais que tu n’auras peut-être pas ton Bac et tu dessine tout le temps, là, partout, sans arrêt. T’as qu’a essayer les Beaux-Arts. Pour voir. Pourquoi pas ? Hein ?
Et voilà que ce vieux prof de physique-chimie, artilleur en retraite, distant et étanche à nos chahuts me met cette putain de puce dans l’oreille. C’est vrai, je dessine tout le temps en classe.  Moi, je ne dessine pas de cuillères, mais des flip-books, des poivrots, des monstres, des crottes de chiens, des biroutes, je fais ça pour faire marrer, le coté artistique m’intéresse peu, je vais droit au but : le fou rire dans la classe, je le fais bien.
Malnuit, lui, est déjà aux Beaux-Arts à Grenoble, c’est un vrai artiste, peinture à l’huile, toiles tendues, cadres, palette croûteuse, médailles dans des salons régionaux, un vrai de vrai, pantalons de velours et pipe de bruyère. Je lui en parle un soir d’été. Ce qui lui plaît, c’est l’humour, disons plutôt la déconne, il maîtrise mal, mes saillies drolatiques l’épatent. Le monde de l’Art m’intrigue, je n’en connaît que les jugements abrupts et sommaires de mon père, les pages du Dictionnaire et une visite au Louvre deux ans auparavant. Marché conclu, Malnuit m’initie à l’art, peinture, littérature, sa culture est immense, je n’ai toujours pas compris d’où il la détenait.
Moi, je lui apprends la poilante. Un mois après, je rentre aux Arts de Grenoble.
Complices pour toujours.

Goguenard. 

Malnuit est assis à la terrasse du bar le Claridge. Sur son carnet de croquis à spirales, la mine de plomb glisse, roule, hache, zèbre le papier. Sur le guéridon au plateau de bakélite, sont posées nos bières.
Sa gauloise vissée aux lèvres, son œil plissé sous la fumée bleue, Malnuit regarde à travers ses cils pour accentuer le contraste. Crobards. Il parle d’Alfred Jarry, de Becket, de Blanco, de Picasso,  de Sartre, de Nicolas De Staël, de Servole, de Pollock, de Camus, et encore de Tobey, de Nanou, de Carrade, dresse son index jaune de nicotine. Le père Clarbeck, tête penchée, sourire amusé, remet deux bières.
Nous sommes en mai 64, il est 17 heures. Les Arts Déco de Grenoble viennent de se vider. Les élèves courent en direction de la gare, vers les cars VSD ou rentrent chez maman. Nous, c’est le Clarbeck.
Scraaatch ! La feuille de papier détachée du bloc fait une petite dentelle. Malnuit me montre son dessin. Je me marre. Je viens d’en faire un, presque le même, de lui, l’œil plissé, clope au bec, tête en arrière.
- Celui-là j’le garde, me dit-il, j’te le file pas.
Deux jours plus tard, Malnuit me tend une toile. C’est son dessin transposé à l’huile. Jus d’essence, bleu et noir, transparences, rehauts de blanc au couteau, ombre portée de la gauloise qui la projette en avant. Il a encore trouvé un nouveau truc, c’est de l’expressionnisme. Je suis épaté, baba, scié.
- Ça s’appelle “Goguenard”, me dit-il.
C’est vrai ça, je regarde le monde avec un œil goguenard.
- Bravo Malnuit, bien joué enfoiré.

GoguenardLavisGoguenardHuile

Le bateau-camionnette de Saint-Tropez

medium_St_Trop_64   

(Photo de photographe ambulant)

“ - Je dors dans un bateau-camionnette, moi ? Un bateau-camionnette, ça ésisque même pas !” hurle Voltan avec son accent des Balkans. Il est vexé à mort. En fait, la nuit, il dort sous une barque de pêcheur à l’envers ou dans une deux-chevaux-camionnette. Il prend la blague de Bacaze pour une injure, du genre : ouais, ouais, tu dors n’importe où, comme un clodot. Bacaze et Mazio sont écroulés de rire.

Voltan est un vieux rapin qui peint des “Poulbot” sur le port. De vrais merdes, mais son pantalon de velours amidonné de couleurs en plein été, nous botte un max. On est en 1964, un orage a regroupé sous la tente d’un épicier tous les peintres exposants sur le port de Saint-Tropez, aquarelles et dessins sous le bras, les huiles sont restées sous l’averse sur nos petits chevalets de campagne. Ça craint rien, dit Mazio, ça fait des matières.
Nous, Ballouhey et Malnuit ou Bacaze et Mazio on a une tente au camping de La Foux et et une deux-chevaux berline, celle d’Honoré, le père de Malnuit. La classe. On the road again.
“Bateau-camionnette” est un mélange de bateau-lavoir et de deux-chevaux-camionnette, c’est devenu un fourre-tout, une bouée de sauvetage, quand on est à cours de vocabulaire, un cri de ralliement, une clin d’œil complice.

Les campeurs de Mai 68

   - Qu’est ce tu fous avec des piquets de tentes de cette taille ? Bordel ! que je murmure à Mazio en tordant la bouche. Les deux CRS font le tour de la deux-chevaux, les barres de fer à la main. - C’est des piquets de tente, on part camper, on aime le camping, on est des campeurs.
On est en plein Mai 68, exactement devant la Préfecture de Police, face à Notre-Dame, c’est là que Mazio a décidé de passer pour aller à Charléty au grand meeting. Je sors mes papiers, j’exhibe en premier lieu une carte de donneur de sang bénévole barrée de tricolore. Aux Beaux-Arts, quand le camion du Don du Sang se gare quai Malaquais, on y va tous pour la charcuterie, le pinard et les infirmières.
- Ah ! Vous êtes donneur de sang universel ? Bon. Ça va. C’est bon. Circulez.
On monte à fond les gamelles la Rue Saint-Jacques, on taille la route .
Un fou-rire délirant s’est emparé de nous.
“- Mais t’es con ou quoi ?… Des barres de fer… Et devant la Préfecture. Tu veux nous faire passer la nuit au gnouf à Beaujon ?
- Beuah! ‘Chais pas, c’est des trucs qui traînaient aux Amandiers.”
On travaille au théâtre des Amandiers de Nanterre comme hommes-à-tout-faire-graphique et plastique.
Job d’étudiants sachant se servir d’un pinceau.

Pierre Ballouhey (novembre 2007)

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Bédé, Mazio et Bacaze, Un p'tit jus en terrasse devant l'église d'Ambert ou d'Issoire en 1971

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